Le Degré Supplémentaire, la lettre d’Infos du Degré Humain #05 [Novembre 25]
🟠 EDITO
Il y a des fins qu’on choisit, d’autres qu’on subit. Et puis, il y a celles qui nous traversent — comme une onde silencieuse, transformante.
Quand, fin septembre, j’ai choisi le thème de cette lettre de novembre, je ne savais pas à quel point il me toucherait. Le 10 octobre, mon père s’est éteint, à 91 ans. Une fin de vie digne, lumineuse, cohérente — comme l’a été son parcours.
Cette lettre parle donc de ça : de la manière dont on vit les fins. Dans nos vies comme dans nos entreprises.
De la lucidité qu’il faut pour reconnaître ce qui s’essouffle. De la responsabilité de clore un cycle avec justesse — non pas dans la perte, mais dans le passage. De l’énergie, du courage, du sens à déployer pour recommencer !
René Char, poète et résistant, écrivait : « Il semble que l’on naît toujours à mi-chemin du commencement et de la fin du monde. Nous grandissons en révolte ouverte presque aussi furieusement contre ce qui nous entraîne que contre ce qui nous retient. »
Et si c’était précisément là, dans cet entre-deux, que naissait la possibilité d’un ‘vrai’ recommencement ? Ni fuite, ni attachement. Mais un mouvement juste, assumé, ancré dans ce que la fin rend possible.
Parce qu’en management comme en écologie humaine, savoir finir, c’est déjà commencer autrement.
Marie-Laure

Savoir finir, savoir recommencer : un sujet plus intime que prévu
Savoir finir, savoir recommencer. Voilà un thème imaginé fin septembre… qui a pris une autre résonance, bien plus personnelle !!!! En effet, mi-octobre, mon papa nous quittait. Finir. Le mot est lourd de sous-entendus. Finir, dans nos cultures professionnelles comme personnelles, c’est souvent perdre, échouer, renoncer.
Si un projet s’arrête, c’est qu’il n’a pas « marché ». Si une entreprise ferme, c’est qu’on n’a pas su vendre, gérer, rentabiliser. Si une relation se termine, c’est qu’on n’a pas su la nourrir, l’entretenir. Et que dire de la maladie, de la perte d’autonomie, de la mort ? Comment donner sens à ces fins-là ?
La vérité, c’est que tout a une fin. Mais nous avons appris à l’ignorer, ou à l’édulcorer, tant elle nous confronte à l’inconfort du changement, à l’angoisse de l’après.
Pourtant, c’est la manière dont une fin est vécue qui fait toute la différence. Est-elle assumée, préparée, transformée ? Ou au contraire, subie, niée, jusqu’à devenir brutale, coûteuse, irréversible ?
Depuis 2023, j’ai traversé deux expériences douloureuses de « fin ». Il y a 2 ans, avec le bureau de l’association, nous avons décidé de déposer le bilan de Lab to Be. Une aventure humaine exigeante, passionnante, pleine de sens… et dont la fin fut pénible, même s’il n’y avait pas d’autre issue. Et puis, le 10 octobre dernier, mon père est décédé. Il avait 91 ans. Sa vie fut dense, engagée, cohérente, lumineuse. (son portrait est dans la chronique dédiée.)
Deux expériences, bien sûr incomparables, mais qui m’ont toutes deux transmis quelques fondamentaux. Je vous les partage ici.
2. Savoir finir est un acte de lucidité. Savoir recommencer, un acte d’engagement.
2.1. Savons-nous voir les signes de fin ?
Les fins ne surgissent jamais sans prévenir. Elles s’annoncent toujours. Mais souvent, nous ne voulons pas les voir.
Un e-mail resté sans réponse. Une tension latente en réunion. Une idée innovante enterrée faute d’enthousiasme. Le turnover silencieux. Le salarié qui fait « le minimum syndical »… Tous ces micro-événements sont des signaux faibles, des alertes silencieuses qui nous murmurent : « quelque chose se termine ».
Cela peut concerner :
- un produit arrivé au bout de sa pertinence,
- un marché en voie de saturation,
- un mode de management devenu obsolète,
- ou même un moment de vie d’équipe qui ne résonne plus avec les aspirations des collaborateurs.
Chez Le Degré Humain, nous savons combien ces signes sont porteurs d’informations précieuses — à condition de les écouter. Sinon, la désorganisation s’installe, les tensions montent, la qualité baisse. Et parfois, l’entreprise décroche. Non pas parce qu’elle n’a pas su agir… mais parce qu’elle n’a pas su reconnaître ce qui devait s’arrêter.
Et il en va de même à titre individuel.
2.2. Faire un deuil transformateur pour mieux repartir
Reconnaître qu’un cycle se termine n’est pas un échec. C’est au contraire un signe de maturité managériale et humaine.
Mais soyons honnêtes : notre culture française valorise peu la fin. On y accole trop souvent l’idée d’échec, de faute, d’aveu d’incompétence. Pourtant, on ne réussit jamais tout du premier coup, et il n’y a pas de réussite sans tâtonnement et cheminement.
Fermer un chapitre, dans une entreprise comme dans une vie, demande de faire un deuil transformateur. Chez Lab to Be, nous avions conçu un cycle pédagogique que je vous propose ici comme outil de passage :
Expérience – Conscience – Responsabilité – Agilité
Expérience : Identifier ce qui a été vécu comme une source d’apprentissage.
Conscience : Prendre le temps d’observer, de comprendre ce que cette situation, cette fin, révèle.
Responsabilité : Assumer ce qui a été traversé, avec lucidité et sans culpabilité… et surtout, choisir le prochain pas à poser.
Agilité : Bouger, ajuster, pivoter, ou même tout recommencer autrement.
Et pour clôturer réellement, deux gestes puissants :
- Célébrer ce qui a été accompli, même (et surtout) si l’issue est douloureuse.
- Fermer symboliquement le cycle, pour libérer l’espace du recommencement.
Ignorer ces étapes alimente ce que nous appelons l’entropie organisationnelle : accumulation de dettes techniques, de processus inutiles, de décisions évitées. Un terrain idéal pour la perte d’énergie et de sens.
Finir proprement, c’est faire œuvre de clarté. C’est éviter que le silence, les ombres ou les doutes n’envahissent les esprits. C’est permettre qu’une nouvelle page puisse s’écrire.
2.3. Créer un redémarrage conscient : l’énergie d’un nouveau cycle
Recommencer ne doit pas être une fuite en avant. Trop souvent, on relance un projet, une dynamique, une relation… sans avoir digéré la fin précédente. Le risque ? Reproduire les mêmes erreurs. Rejouer les mêmes scénarios. Épuiser les énergies, construire sur du sable.
Alors, un redémarrage conscient, ça implique quoi ?
- Se réaligner autour d’un nouveau cap porteur de sens.
- Faire de l’étape suivante un jeu collectif, où chacun contribue avec son vécu.
- Transformer l’expérience passée en levier de maturité, et non en poids à traîner.
Recommencer, c’est une renaissance, pas un simple redémarrage automatique.
Et ne vous y trompez pas : l’enjeu est autant émotionnel qu’opérationnel. Ça touche le cœur autant que les chiffres, les postures autant que les process.
3. Le rôle du manager : supporter la fin, impulserl’après
Dans cette traversée, le rôle du manager est central… et souvent ingrat.
Il est à la fois le plus concerné émotionnellement et le plus exposé publiquement. Il doit accompagner les autres, souvent en silence, tout en portant lui-même le poids — parfois la douleur — de la fin, et la responsabilité du nouveau départ.
C’est un paradoxe difficile : on attend de lui qu’il soit solide, serein, lucide… alors qu’il est parfois seul, épuisé, déstabilisé.
Sa posture est déterminante :
- S’il nie la fin, les équipes perçoivent la dissonance.
- S’il la dramatise, elles se crispent.
- S’il l’assume et la traverse, il devient une figure d’ancrage.
Et quand le manager incarne, justement, le courage tranquille de recommencer — pas malgré la fin, mais grâce à elle, il devient tout simplement inspirant … tentant, non ?
4. Et vous, que devez-vous finir pour mieux recommencer ?
Le management, comme la vie, avance par cycles. Rien ne dure toujours — ni les réussites, ni les difficultés.
Ce qui compte, ce n’est pas d’éviter les fins. C’est de les reconnaître, de les traverser, et d’en faire des occasions de renouveau.
Alors, à vous qui lisez, soyez honnêtes, au fond de vous :
- Qu’est-ce qui, aujourd’hui, me prend trop d’énergie et mérite de se terminer ?
- Et donc : qu’est-ce qui attend d’être recommencé, autrement, avec plus de clarté, de cohérence, de courage ?
Volontiers pour échanger sur vos nouvelles perspectives. Et si vous vous demandez comment arrêter de perdre inutilement votre énergie précieuse, c’est le moment de faire votre diagnostic Synacto Solo.

TPE vs PME : qui résiste le mieux aux fins difficiles ?
En 2024, les défaillances d’entreprises ont bondi en France.
Mais toutes les structures n’ont pas été touchées de la même manière :
- Les TPE (6 à 19 salariés) ont enregistré une hausse contenue de +10 %,
- Tandis que les PME de plus de 50 salariés ont subi une flambée de +30 % (source : BPCE / EY).
Plus agiles, les TPE ? C’est surtout que c’est une question de survie … et que font les Dirigeants ? Ils se serrent la ceinture … et puis comme la structure est plus légère, cela permet d’ajuster plus vite leurs modèles.
Les PME, plus structurées, résistent parfois à finir ce qui doit l’être — produits, process ou organisation. Résultat : l’entropie s’installe, jusqu’à la rupture.
Savoir finir, c’est aussi une compétence organisationnelle. Et parfois… une question de survie.

Pierre Dufour, c’est mon père, il nous a quitté le 10 octobre dernier, discrètement, après 91 ans d’une vie « totale ».
Je n’imaginais pas, fin septembre, en choisissant le thème « Savoir finir, savoir recommencer », à quel point il allait me toucher personnellement.
La cohérence comme boussole
Papa a consacré sa vie à une chose rare : la cohérence entre ses convictions, ses choix et ses actes.
Ingénieur de formation, il débute sa carrière dans l’armée de l’air. En pleine guerre d’Algérie, il s’interroge sur l’absurdité de la violence et de la haine, et prend position de manière radicale. Deux fois, il sera mis en joue par des membres de l’OAS — et deux fois sauvé par un ami pilote, pied-noir.
Quelques années plus tard, il quitte l’armée, en pleine conscience, après avoir refusé d’adhérer à la logique de la dissuasion nucléaire. Un acte fort. Une fin choisie, dictée par sa foi et une exigence morale intransigeante.
Des choix de rupture, au service du vivant
Nous partons alors vivre à Ouagadougou (Burkina Faso), où Papa enseigne la thermodynamique* à l’École Inter-États des Ingénieurs de l’Équipement Rural. Une rencontre marquante l’attend : Jean-Pierre Girardier, fondateur de la SOFRETES (Société Française d’Études Thermiques et d’Énergie Solaire) lui propose de venir rejoindre son aventure.
Imaginez un peu : pour cet homme assoiffé d’idéal, permettre l’accès à l’eau partout dans le monde, grâce à des pompes solaires thermodynamiques… une solution pionnière, bien en avance sur son temps.
De retour en France en 1975, il travaillera pour la Sofretes jusqu’à sa fermeture en 1983. (Pour les curieux qui se demanderaient le pourquoi de cet échec industriel, Alexandre Mouthon, a écrit « À la recherche de la chaleur perdue« , et c’est édifiant : lien vers la thèse)
L’engagement non-violent comme ligne de conduite
Avec Maman, ils s’engagent alors dans de nombreuses luttes écologiques, sociales et politiques. Je me souviens de cette époque où nous étions considérés comme les contestataires par notre famille bourgeoise du Nord !
Parmi les combats qui ont marqué mon adolescence :
- L’écologie et le respect des ressources, après avoir observé en Afrique l’usage millimétré de l’eau, on repère vite les gaspillages indécents;
- le soutien à la libération des peuples, comme avec la campagne « Oranges Outspan » contre l’apartheid sud-africain (qui d’entre vous connait cette affiche ultra évocatrice ? )
- et surtout, la résistance non-violente comme philosophie et principe d’action.
Avec d’autres militants, mes parents fondent un groupe d’action : « Équipe de Paix dans les Balkans », pour soutenir la résistance pacifique des Albanais du Kosovo contre le régime d’apartheid de Milosevic. Entre 1992 et 2003, Papa effectuera une quinzaine de missions de plusieurs semaines dans les Balkans.
En octobre 1998, il part comme vérificateur du cessez-le-feu avec l’OSCE (Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe). Ce fut une fierté immense pour nous… mais aussi une source d’inquiétude, car la mission était dangereuse.
De ces expériences, il tirera un livre : Kosovo, on a marché sur la paix (éd. Thélès, 2007), dans lequel il interroge les modalités réelles de la paix et de la non-violence. 👉 Lire la fiche du livre
Jusqu’au bout, rendre sa dignité à chacun
Son dernier engagement se poursuit au sein du Réseau Éducation Sans Frontières (RESF), en tant que trésorier. Pour lui, c’était une façon de redonner de la dignité à celles et ceux qui avaient dû fuir leur pays pour des raisons politiques.
Savoir finir, pour pouvoir recommencer
Papa avait cette capacité rare à penser les fins : fin d’un confort, d’une habitude, d’une guerre, fin d’un système injuste, fin d’une illusion… Et cela, toujours avec la foi que quelque chose de plus juste pouvait advenir.
Il m’a transmis cet essentiel :
C’est dans la cohérence, l’alignement entre nos paroles et nos actes qu’un projet, une relation, une vie puisent leur justesse et leur force ! Merci Papa
* Le Degré Humain s’intéresse à la mesure de la perte d’énergie, individuelle ou collective, ça s’appelle l’entropie, et c’est une des loi de la thermodynamique CQFD !

1. Repérer les signaux faibles : c’est faire preuve de lucidité
Tensions latentes, démobilisation, énergie qui stagne… Autant de prémices d’un cycle qui s’essouffle. Encore faut-il savoir les écouter.
2. Désigner ce qui doit finir : c’est faire preuve de courage
Ne laissez pas une situation s’enliser. Nommer la fin, c’est déjà commencer à la traverser.
3. Faire une vraie rétrospective : c’est faire preuve d’intelligence
Prenez un temps d’équipe pour regarder en face le chemin parcouru : ce qui a marché, ce qui a bloqué, ce qui n’a plus lieu d’être.
4. Ritualiser la clôture : c’est respecter les cycles
Une fin a besoin d’un acte symbolique : remerciement, transmission, célébration. Cela structure l’après et apaise l’énergie collective.
5. Impliquer les équipes dans le renouveau : c’est jouer collectif
Posez cette question simple à tous : “Et maintenant, qu’est-ce qu’on garde, qu’est-ce qu’on jette, qu’est-ce qu’on crée — ensemble ?”
6. Reformuler un cap clair et inspirant : c’est donner de l’élan
Un redémarrage porteur de sens se reconnaît vite : chacun se remet en mouvement, et l’envie revient.
7. Prendre soin des personnes : c’est rester profondément humain
Une fin bien vécue est aussi une affaire de soin : soutenir ceux qui doutent et s’appuyer sur ceux qui osent … car l’énergie est communicative !

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