Le Degré Supplémentaire – lettre d’Infos #04 [Octobre 25]
🟠 L’édito
L’automne à contre-temps : et si nous réinventions notre rapport au temps ?
C’est l’automne, la saison la moins appréciée des Français.
Le retour du temps maussade, des journées courtes, coincée entre le rayonnement de l’été et l’excitation des fêtes de fin d’année.
Et pourtant… Et si nous décidions de la vivre autrement ? De tordre le pessimisme ambiant — nourri par l’actualité comme par la grisaille — et d’oser une autre danse, un autre pied, un contre-temps ?
Je me souviens d’une expérience qui m’a marquée. Il y a quelques années, après une journée de formation, chargée d’un vidéoprojecteur, de livres et d’ordinateurs, je suis sortie sous une pluie d’automne. Les feuilles humides ont joué leur rôle de tapis glissant… et je suis tombée.
Dans l’instant de ma chute — infiniment bref en temps objectif — j’ai eu l’impression de vivre une éternité à 360° : le ciel pommelé, les néons des magasins, les écorces moirées des platanes, les regards surpris des passants, le sourire espiègle d’un enfant. Une bulle de temps s’était ouverte, suspendant l’ordinaire.
Cet épisode a éveillé une conscience qui ne m’a plus quittée : le temps n’est pas ce qu’on croit avec cette perspective de créer volontairement ces “poches de temps” au cœur de nos journées chargées ?
Alors, je vous propose de profiter de ce temps d’automne pour se questionner : et si le temps universel n’était qu’une convention ?
Marie-Laure

Le moment de réinventer notre rapport au temps
Le mot Temps, un univers à lui seul
S’il est bien un mot riche, c’est le Temps. Polysémique, protéiforme, il se glisse partout et devient tantôt littéral, tantôt métaphorique, tantôt culturel. On l’accuse d’être le voleur de nos instants, le coupable de nos manques, parfois même l’ennemi intime.
Il est le temps qu’il fait, indicateur du réchauffement climatique.
Il est celui de l’Histoire, qui ordonne les époques et façonne nos récits collectifs.
Il est la durée dont nous disposons dans nos journées, ressource rare qu’on dit toujours insuffisante.
Il est encore ce moment opportun, ce kairos cher aux Grecs, où quelque chose bascule.
Il est le temps vécu, fait de souvenirs et d’émotions, teinté de nostalgie ou d’attente.
Il est la matière première de nos récits : passé, présent, futur s’y articulent pour donner du relief à nos histoires.
Les disciplines artistiques s’en emparent aussi : la danse qui habille l’espace de rythmes invisibles, la musique qui joue avec le silence et invente le « contre-temps », figure du décalage qui magnifie la mélodie.
Capital, essentiel, mais sans cesse comprimé, refoulé, malmené…
Vraiment, quel sale temps pour le temps !
La qualité du temps « ordinaire »
Une lumière plus douce, des températures en baisse, des feuilles qui roussissent et se déposent sur le sol. L’automne rythme la nature comme nos organisations : la rentrée est derrière nous, les objectifs annuels approchent, et chacun s’affaire en perspective de la fin de l’année.
Apprécier ce temps-là, c’est redonner de la valeur au cycle naturel, comme un rappel que « tout a un temps sous le soleil ». Ce qui a brillé hier ne peut être répété à l’identique, il est sans doute signe de tourner le regard vers ce qui s’offre à nous aujourd’hui.
Les Scandinaves l’ont bien compris avec le hygge au Danemark ou le mys en Suède : un art de vivre qui consiste à savourer les instants simples, à se protéger dans un cocon chaleureux, à privilégier les liens, les jeux, les petites activités qui nourrissent le quotidien.
L’automne est aussi un kairos, une charnière fragile entre abondance et dépouillement, une invitation à transformer plutôt qu’à subir. Le vivre « à contre-temps », ce n’est pas nier la saison : c’est reconnaître que son rythme n’est pas toujours linéaire, et que le décalage peut devenir une ouverture plutôt qu’un défaut.
Le temps subjectif : l’éternité pliée
Jean Cocteau écrivait que « le temps, c’est de l’éternité pliée ». Derrière la mesure objective des secondes et des minutes, nous faisons tous l’expérience d’un temps subjectif, extensible ou contracté.
Une chute d’une fraction de seconde peut sembler durer une éternité. Une tâche ennuyeuse s’étire à n’en plus finir tandis qu’une activité passionnante s’achève trop vite. Dans un collectif, ces perceptions divergentes deviennent visibles : ce que l’un trouve interminable, l’autre le trouve nourrissant et léger. Ces différences, souvent sources de tensions, sont en réalité une richesse pour aborder toutes les facettes d’un projet.
Le temps du Sens
Dans mon métier de Logothérapeute, j’observe que le temps est vécu très différemment selon qu’il est rempli de sens ou non. Lorsqu’une action résonne avec nos valeurs profondes, le temps consacré cesse d’être contraint : il devient un engagement, une jubilation, une affirmation de ce qui compte.
Viktor Frankl parlait de triade fondamentale : liberté de la volonté, volonté de sens, sens de la vie. Le temps investi alors n’est plus subi ; il devient la trace visible de notre engagement. Être humain, c’est se tenir face à un sens à accomplir et des valeurs à réaliser.
Le temps quantique : une autre réalité
Et puis il y a cette dimension vertigineuse que nous révèle la physique quantique. Elle nous montre que le temps n’est pas l’évidence qu’il paraît. À l’échelle fondamentale, il perd ses contours familiers.
Les physiciens parlent du chronon, une hypothétique particule de temps qui rendrait sa structure discontinue, faite de “grains” indivisibles. D’autres théories suggèrent que le temps n’existe pas comme toile de fond universelle, mais qu’il émerge des relations entre événements, comme une propriété secondaire de l’univers. Autrement dit, sans interaction, pas de temps.
La notion de flèche du temps elle-même vacille : si, à notre échelle, tout semble aller du passé vers le futur, certaines équations quantiques autorisent une réversibilité !
Imaginez un peu : des expériences troublantes suggèrent même que, dans certains cas, les effets peuvent précéder les causes — comme si l’avenir reconfigurait le passé.
Que signifie tout cela pour nous ? D’abord, que le temps n’est pas une ligne droite mais une expérience, parfois floue, parfois relative.
Ensuite, que nos vies ne sont pas condamnées à se plier à une chronologie figée : nous avons une marge de liberté pour créer nos propres bulles, nos propres rythmes, nos propres kairos.
Enfin, que dans nos organisations, le temps peut être apprivoisé autrement : non pas comme une ressource linéaire à exploiter sans relâche, mais comme une matière souple à organiser, à habiter, à réinventer.
Le moment d’habiter le contre-temps
Comme le souligne Olivier Hamant, la performance immédiate ne suffit pas. Ce qui compte, c’est la robustesse : la capacité à traverser toutes les saisons quelques soient leur complexité.
Choisir l’esprit du contre-temps, ce n’est pas se mettre à rebours : c’est accepter le décalage comme une chance de réinterroger notre rapport au temps, à notre mission, à notre travail.
Plutôt que de subir la linéarité, nous pouvons apprendre à accueillir ses poches, ses accélérations, ses lenteurs.
Comme un musicien qui donne vie à une mélodie en sortant du battement attendu, nous pouvons donner un autre souffle à nos organisations, et à nos vies
Alors comment choisirons-nous d’habiter le temps cet automne — en le subissant, ou en l’apprivoisant à notre manière ?

« Ça y est, tout est sur les rails mais la pression augmente et le rythme s’accélère… et moi, j’ai l’impression de ne plus savoir par quoi commencer ni comment résoudre certaines situations. Entre mon équipe sous tension, les enfants et les travaux de la maison à gérer, je me sens épuisée. Que faire pour ne pas trébucher ? »
Le plus difficile, c’est que vous avez l’habitude de tout assumer : anticiper, trouver des solutions, travailler vite. Alors, quand un grain de sable — puis trois, puis mille — vient enrayer la mécanique, le sentiment de “ne plus y arriver” est difficile à accepter.
Pas de recette miracle… sauf peut-être une, totalement contre-intuitive : s’arrêter, se poser, prendre une vraie pause. (Vous vous souvenez des 7 pauses à tester du numéro d’août ?)
Et puis, ne restez pas seule. C’est pour vous que nous avons conçu Synacto Solo : une méthode en 5 étapes, respectueuse de votre rythme, pour retrouver votre énergie naturelle et avancer à nouveau avec clarté et sérénité — sans ajouter de pression supplémentaire.

47 secondes : c’est le temps moyen qu’un salarié reste concentré sur une tâche avant d’être interrompu.
Et il lui faut en moyenne 23 minutes pour retrouver son niveau d’attention initial.
Cherchez l’erreur !!!
À force de courir après la performance immédiate, nos organisations génèrent en permanence de l’inefficacité, de la fatigue, bref, de la démotivation !
PS : Ces chiffres de 23 minutes et surtout des 47 secondes sont attribués à la chercheuse Gloria Mark, sans pour autant trouver des sources solides d’un point de vue académique, alors, bon, comme ils captent bien l’attention, je m’autorise un peu de latitude avec la rigueur scientifique !

Olivier Hamant, le biologiste qui défie la dictature de la performance
Dans nos organisations, le mot d’ordre semble immuable : plus vite, plus efficace, plus performant. Cette obsession nous a conduits à sursolliciter les équipes, à multiplier les indicateurs et à traquer le moindre “temps mort”. Résultat : des entreprises fragiles face aux crises, des managers à bout de souffle, des collaborateurs désengagés.
Face à ce culte de la performance, Olivier Hamant propose un changement de paradigme radical. Chercheur en biologie végétale à l’INRAE et directeur de l’Institut Michel Serres, il observe le vivant avec un regard décalé. Et son constat est clair : dans un monde instable, le bon logiciel, ce n’est pas la performance, c’est la robustesse.
Qu’est-ce que cela veut dire ? Contrairement à nos modèles productivistes, la nature n’élimine pas les obstacles : elle compose avec eux. Les arbres qui ploient sous le vent deviennent plus solides. Les racines qui rencontrent des pierres explorent d’autres territoires. Les organismes soumis aux contraintes inventent des solutions inattendues. Autrement dit, le vivant n’est pas dans l’optimisation maximale mais dans la durabilité.
Transposée au monde de l’entreprise, cette leçon est précieuse. Devenir robuste, c’est accepter l’imprévu, intégrer la friction, valoriser la diversité. C’est comprendre que nos failles, nos lenteurs, nos imperfections sont souvent ce qui nous permet de durer. Là où la performance absolue fragilise, la robustesse rend adaptable, créative et résiliente.
À l’automne, saison de transition et d’équilibre instable, la voix d’Olivier Hamant résonne comme un rappel : chercher à être toujours “dans les temps” n’est pas une stratégie d’avenir. Parfois, il vaut mieux être à contre-temps, ralentir ou bifurquer, pour bâtir une organisation capable de traverser les turbulences.
👉 La question est simple et décisive : préférez-vous une performance immédiate… ou une robustesse durable ?

1. Instaurer des poches de temps
Bloquez chaque jour 45 minutes sans notifications, sans mails, sans réunions. Ce temps “protégé” devient un espace de concentration profonde ou de respiration créative.
2. Valoriser les temps lents
Accordez du temps à la réflexion stratégique, à l’apprentissage ou à l’innovation. Ces moments semblent moins productifs à court terme, mais construisent la robustesse collective sur la durée.
3. Pratiquer le kairos managérial
Demandez-vous : “Est-ce vraiment le bon moment pour cette décision ?”
Osez parfois différer une action, non par procrastination, mais pour attendre l’instant opportun — celui où l’équipe est disponible, où l’énergie est là.
4. Intégrer du hygge organisationnel
À l’automne, proposez des moments conviviaux simples : un café d’équipe sans agenda, une marche partagée, un échange sans enjeux …
Ces instants renforcent les liens et rappellent que l’entreprise est aussi un lieu de vie.
5. Réhabiliter le contre-temps créatif
Acceptez les décalages et les imprévus comme sources d’idées nouvelles. Un projet qui prend du retard, une réunion qui sort du cadre prévu, une contrainte qui surgit : plutôt que de les voir comme des “bugs”, entraînez vos équipes à y chercher des opportunités.
Ces pratiques sont modestes, et pourtant, elles ouvrent la voie à un rapport au temps plus souple, plus riche, plus robuste.

